Je tiens, avant tout, à vous remercier M. le Premier ministre Ariel Henry pour l’honneur que vous me faites en m’appelant à intégrer votre gouvernement pour servir mon pays à un très haut niveau.
Mon parcours est long et j’arrive chargée de tout ce que j’ai vu et appris de notre pays, convaincue par mes années d’expérience que la culture peut nous aider à le changer en rendant meilleurs les femmes et les hommes qui y vivent.
Il y a 12 ans, jour pour jour, un tremblement de terre ravageait le grand ouest et le sud-est, nous laissant orphelins de milliers de sœurs et de frères, dépossédés de monuments, d’églises, de bâtiments publics, de résidences dont les vestiges de beaucoup d’entre eux existent encore dans le paysage et nous avons tous répété après Dany Laferrière, convaincus, que le pays se relèverait grâce à la culture. Nous y croyons encore et nous sommes là pour le redire.
Ce même Dany Laferrière m’a écrit il a 2 jours et il serait certainement d’accord que je le partage avec vous: Ne t’inquiète pas, les gens sont au courant de la situation, ils ne vont pas te demander la lune, mais une bougie pour éclairer le livre qu’ils sont en train de lire. Et toi, tête baissée, sans te fixer aucun faux programme tu vas continuer à faire ce que tu sais si bien faire: insuffler la vie aux poètes affamés, aux peintres démunis, aux musiciens rêvant d’une salle de bal. Garde le geste quotidien, celui qui t’a permis de faire surgir des métaphores rutilantes au bout de tes doigts. Fais ce que tu peux pour faire connaître leur travail au reste du monde. Et met en chantier une renaissance culturelle. Tu te souviens de Harlem renaissance? Notre pays est une terre sèche qui a besoin d’une farinade pour faire surgir le printemps. Car comme dit ton écrivain préféré Jacques Stephen Alexis « Les peuples sont des arbres. Ils fleurissent à la belle saison. »
Dans un contexte difficile ou nous avons l’impression tous les jours que nous perdons pieds, il est essentiel d’identifier les liens, de les nouer, de les renouer, d’apprendre et de réapprendre les uns des autres. Et la culture est ce vaste territoire à la fois de révolte et d’apaisement ou nous pouvons envisager de construire pour tout le monde, de réunir tout le monde.
Il ne s’agit pas d’être naïf mais d’être optimiste et lucide, comprendre et admettre que personne ne peut régler nos problèmes à notre place, que le moindre geste pour contribuer à l’édification nécessaire de l’être haïtien est important. Il y a tant et tant à faire pour structurer la culture et définir ce que doit être la communication utile dans ce contexte de besoin et d’exacerbation des contradictions.
On ose plus ou on ose trop. Les régisseurs, pour la plupart, sont en pause alors que le spectacle doit continuer et encore et encore faire rêver une population insatiable, constamment en demande, avec raison, de meilleures propositions. Il va falloir nous y atteler, retrouver nos capacités de mise en scène, insuffler de l’énergie à nos institutions, évaluer et réévaluer leur rôle et leur efficacité.
Les choses bien faites ne peuvent pas se perdre, elles représentent des socles pour accueillir d’autres choses et perpétuer l’envie de bien et de bien-être pour la majorité. Les institutions du Ministère de la culture, je le sais pour en avoir dirigé un certain nombre d’entre elles, font face à des difficultés. Le patrimoine, les médias, la communication, la lecture publique, les archives, les droits d’auteur, mais ces difficultés ne sont pas insurmontables. Que souhaitons nous aujourd’hui ? un pays qui regarde de l’avant, un pays qui s’ancre dans lui-même pour trouver ce qui lui vaut d’être pays, ce qui vaut à son peuple d’être peuple aujourd’hui et il n’y a que la culture qui puisse permettre ce ressaisissement, une politique culturelle à la hauteur de ce que nous sommes et de ce à quoi nous aspirons. Le plus court et le plus sur chemin pour atteindre nos objectifs et d’être au service du plus grand nombre et faire que nos contradictions deviennent à la fois force et ferrements comme ce fut le cas en 1804.
Il nous faut combattre toutes les formes d’inégalités dont celles de l’accès au savoir et à la culture parce que la culture est une belle porte vers la liberté, la liberté la plus aboutie, celle qui permet d’être soi-même et d’être l’autre.
Mesdames et Messieurs,
Cette année 2022 est l’année du centenaire de la naissance de Jacques Stephen Alexis, l’année de la belle amour humaine. Cette année d’hommages à cet immense écrivain, citoyen parmi les meilleurs, est aussi un prétexte qui se propose à nous pour travailler à la mise en place d’un service public de la culture avec de nouveaux enjeux et de nouvelles finalités. Ceci dit, le ministère de la Culture n’entend pas se substituer aux différents acteurs culturels.
Depuis deux longues années, la crise sanitaire mondiale et les expressions douloureuses, violentes et létales de l’insécurité, ont dévasté le milieu culturel. Les lieux de culture ferment leurs portes, les artistes sont orphelins de leur public puisque les gens subissent l’interdiction de sortir ou ont tout simplement peur de le faire. Mais, rassurez-vous, ce constat, si malheureux soit-il, ne suffit pas à me rendre pessimiste.
À travers le ministère de la Culture, la puissance publique va s’investir, plus que jamais, dans l’accompagnement du secteur, multipolaire par nature. Cet accompagnement se fera selon des principes de neutralité pour garantir la liberté de tous les acteurs et aussi défendre la qualité des produits culturels haïtiens. Ainsi, il sera pris en compte, dans le cadre des interventions du ministère, la nécessité de rendre l’accès à la culture plus aisé à la population en empêchant à certains de continuer à creuser un fossé entre les Haïtiens.
La politique publique du ministère va, dès aujourd’hui, s’investir dans trois champs d’action : l’évaluation, l’expérimentation de nouvelles formes d’expression et la décentralisation pour être plus proche de la réalité du pays, des énergies créatrices et des lieux de diffusion qu’il faut multiplier et surtout rendre opérationnels en permanence. Pour chaque champ d’action, nous allons nous fixer des objectifs à atteindre. C’est le moyen le plus efficace de mettre en place un véritable service public de la culture au bénéfice de tous les Haïtiens.
Mesdames et Messieurs
S’agissant de la Communication de l’État, nous avons conscience que le chantier est à la fois énorme et ambitieux. La diffusion de l’information doit s’ouvrir aux technologies les plus adaptées et se soumettre aux mutations des réseaux et des moyens d’aider la population à disposer des tous les contenus à même de l’informer, de la former, de lui permettre de s’intégrer dans la vie de la communauté. Et surtout de l’inciter à se protéger contre les nombreuses expositions aux menaces naturelles.
La démocratie a ses exigences et l’une d’elle consiste à entretenir la liberté d’expression. En ce début d’année, deux jeunes confrères journalistes ont été tués dans des conditions révoltantes. Le travail du ministère est aussi de permettre aux travailleurs de la presse d’exercer en toute liberté sans risquer la mort, la torture et le bannissement. Mes pensées émues vont à la famille, aux proches et aux collaborateurs de ces nouveaux martyrs. La justice fera son travail et le ministère entend rester aux côtés de la corporation pour consolider la liberté d’expression garantie par notre Constitution.
Je vous promets d’investir toute ma personne et d’exiger autant de mes collaborateurs pour faire, dès aujourd’hui, ce qui était impossible et impensable hier.
Je vous remercie
Emmelie Prophète Milcé
Ministre